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Ce livre n'est ni un document, ni un témoignage.

C'est...  beaucoup plus.

C'est un roman. Un roman né d'une histoire vraie.

Un roman qui a puisé dans une histoire de vie les douleurs et les joies.

Et n'a voulu qu'une chose :  restituer. 

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Alors... Alors laissez-vous transporter : On est en 1860, au pays de Nohant.

Nohant est un petit village au cœur du Berry...

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Cette histoire, c'est celle de Marie, la fille du vigneron. Celle de son fils Alexandre et de sa fille, Clémentine. 

La" tante folle" comme on dira, plus tard, dans sa famille, sans pourtant aucune méchanceté.

Ne disait-on pas de Marie qu'elle était courageuse et joyeuse ?  Passionnée par tant de choses.  

De Clémentine qu'elle avait été très belle, très douce ?

Et d'Alexandre qu'il parlait aux chevaux ?

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Et que tous les trois avaient beaucoup souffert.  

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Marie, Clémentine et Alexandre ont existé. 

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Marie ? On posera sur elle, le plus vite possible, une grosse chappe de silence.

Comme on en a posé une sur sa tombe... Car Marie n'a pas de tombe... enfin, tout le mystère est là...

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Quant à Alexandre... Où est-il rangé dans les mémoires, ce grand jeune homme si solide et si silencieux qui, toute sa vie, a pris soin des autres ?

Peut-être... Peut-être dans un petit coin de celle de ces chevaux qui, disait-on, savaient si bien lui répondre.

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Mais comment raconter une histoire qui s'est presque perdue ?

Comment réinventer les tourments de ces vies ?

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A moins... A moins de se laisser couler, avec eux, eux qui ont ri, espéré et souffert, dans ce monde qui a été le leur. 

A moins d'y retrouver ceux qui y ont existé, qui y ont vécu. Près d'eux.

A moins d'en deviner leurs liens. D'en  toucher du doigt leur amour, leur amitié, leur tendresse. 

A moins de parvenir, ainsi, à réinventer leur vie.

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Alors... de Nohant, allons jusqu'à Thevet. Le chemin n'est pas long.

Il y a, dans ce petit village  où les cloches de l'église continuent pareillement de sonner, encore tant de choses de ce temps passé !

Il y a la grande maison d'école où Marie, et plus tard Clémentine, ont posé leur sac et leurs espoirs. 

Et même... la petite maison aux marches de pierre, "la maison aux deux rosiers" comme on appelait

la "maison des Lorilloux".

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Lieux décrits dans le roman: THEVET et l'usine Balsan à CHÂTEAUROUX

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EXTRAIT 

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Juin 1961– Montgivray

 

  

​       Une longue voiture blanche avec chauffeur avait traversé le village et attendait, à l’ombre de l’unique arbre de la petite place où la lumière était éclatante.

     Le glas résonnait maintenant dans chaque rue, chaque chemin de pierre, jusqu’aux champs, là-haut, de cultures et de vignes.

      Les portes de l’église venaient de s’ouvrir pour laisser sortir le cercueil et les quelques personnes qui s’étaient déplacées pour suivre la cérémonie.  

   Pas à pas, l’enterrement se dirigeait vers le cimetière, faisant s’arrêter, en se signant, les rares passants de cet après-midi brûlant. Les femmes sortaient de leur poche leur chapelet de buis et les hommes prenaient rapidement à la main leur chapeau de paille ou leur casquette de toile grise.   

    Pierre se dit, avec un peu de regret, que c’était tout ce que son père aurait comme adieu. Mais n’était-ce pas exactement ce qu’il aurait voulu, lui qui n’avait été proche de personne ? C’est pour cela que Pierre n’avait rien fait publier dans la presse locale. Ce deuil-là ne concernait que la famille. Et il n’y avait plus de famille du côté des Lorilloux. Peut-être quelques cousins éloignés mais qui ne devaient même pas se souvenir de son existence. Les autres ?... Tous morts. La grand-mère Louise, l’oncle Jean, la tante Fleur. Morts… Ou disparus comme Charles, le fils aîné, Pierrot …

    Il y avait beaucoup de morts chez eux. Et beaucoup de disparus. Comme une malédiction tous ces disparus, disait-on au village en levant les épaules pour bien marquer que l’on ne croyait plus vraiment à ces choses d’un temps passé. Mais que… quand même… cela finissait par être impressionnant.

 

     Arrivé à l’entrée du cimetière, le regard de Pierre s’arrêta sur une très vieille dame, d’une élégance un peu surannée, s’abritant sous une ombrelle de coton blanc portée par une main aux lourdes bagues d’or et de pierreries.

    Elle se tenait près des hautes grilles, immobile, vêtue d’une longue robe de tissu grège et soyeux qui flottait sur ses bottines de cuir sombre. Le rouge de ses lèvres fardées formait une tache écarlate sous le grand chapeau de paille claire sur lequel était noué un large foulard de soie bleue. On aurait presque pu la croire sortie d’un tableau de l’un de ces maîtres impressionnistes du siècle passé.

    Sans un mouvement, elle suivait des yeux cet homme, jeune encore, aux cheveux pourtant déjà légèrement grisonnants, qui, lui aussi, discrètement, l’observait.  

 

    — Vous êtes Pierre, n’est-ce pas ? Le fils d’Alexandre ? dit-elle en s’avançant lentement vers lui quand le cercueil fut mis en terre et qu’il eut fini de recevoir les quelques marques de sympathie d’usage.     

      De plus en plus surpris, l’homme acquiesça d’un signe de tête.

      — Je tenais à vous présenter toutes mes condoléances.

      Tous les deux se regardaient, silencieux.

       — Je suis Aurore. Aurore Lauth-Sand. La petite-fille de George Sand. Marie, votre grand-mère, était mon amie. L’amie de toute mon enfance. Nous avons longtemps été très proches.

     L’homme ne répondait pas, ne bougeait pas.

     — Elle a été ma meilleure amie. Un peu plus âgée que moi. Mais surtout, tellement plus forte. Elle m’a toujours aidée, protégée, soutenue dans tout. J’ai traversé le monde de l’enfance avec ma main dans la sienne, termina la vieille dame dans un souffle, cherchant à s’abriter du soleil brûlant sous les branches du gros sapin qui paraissait être ici depuis la nuit des temps.

     L’homme ne répondait toujours pas.

     D’un geste lent, il essuya la sueur qui perlait à son front.

    — C’est étrange cette chaleur, n’est-ce pas, alors que l’été n’est pas encore là ? continua-t-elle, parlant à voix basse. Vous savez ce que l’on avait toujours raconté à Marie ? Que le jour de sa naissance, alors que la veille il faisait presque un temps de printemps, il s’était mis à pleuvoir de façon torrentielle et que de mémoire d’homme, on n’avait jamais vu de trombes d’eau aussi impressionnantes. Elle disait, en souriant, que la nature se déchaînait toujours autour d’elle quand il lui arrivait quelque chose de grave ou d’important. De vraiment grave ou de vraiment important. Avec ce petit sourire en coin qu’elle prenait lorsqu’elle ne voulait pas que l’on sache si elle plaisantait ou si elle pensait vraiment les choses qu’elle venait de dire. Et aujourd’hui, ce soleil presque violent qui arrive après ce mois entier de pluie, je me demande ce qu’elle en aurait dit…  

   Baissant son ombrelle, elle regarda le ciel. Sans un seul battement de paupière. « Je pense qu’elle est heureuse de retrouver enfin son fils », dit-elle  tandis que l’homme, impressionné, jetait lui aussi, mais comme sans le vouloir, un regard vers cette lumière éclaboussant un ciel sans nuages. « C’est grave aussi le bonheur n’est-ce pas ? Vraiment grave. Et c’est important, vraiment important. »

    Elle se tut, songeuse. 

    « Le temps a complètement basculé aussi, au décès de ma grand-mère », reprit-elle. Il avait fait chaud pendant ces premiers jours du mois de Juin où elle était si mal, presque trop chaud d’ailleurs. Mais au matin de sa mort, on aurait dit que Nohant se réveillait en plein mois de novembre. Et cela a duré comme cela jusqu’à sa mise en terre. Ce jour-là, le ciel était gris. Il pleuvait. Une petite pluie fine et froide qui vous fouettait le visage. Avec le vent dans les branches des cyprès et les litanies du vieux chantre qui se tenait debout, droit, au milieu de toutes ces paysannes enveloppées de grands manteaux, agenouillées et priant dans l’herbe mouillée*, c'était... c’était grandiose, certes… mais c’était terrifiant, c’était presque … dantesque. Eh bien, c’est terrible ce que je vais vous avouer : j’ai senti un horrible rire nerveux me gagner. Je repensais à cette complicité que Marie avait avec ma grand-mère, à toutes ces similitudes qu’elles aimaient se trouver… et j’ai imaginé le petit regard complice qu’elles se seraient lancé, toutes les deux. Et là, est monté ce rire ridicule que je refusais de toute mon âme. Cela a été un instant extrêmement douloureux. Si je vous disais que je me souviens encore de la sensation d’étau et de brûlure que j’ai ressentie, comme si on me broyait la gorge. Cela a été un vrai moment de cauchemar… Et tout à coup, j’ai senti sa main prendre la mienne et la serrer très fort. Et le calme est revenu en moi. J’étais sauvée puisqu’elle était à mes côtés. Je me doutais qu’elle était là mais je ne l’avais pas vue dans toute cette foule. »

   L’homme la regardait toujours, les mâchoires serrées.   

    — Je sais, Pierre. C’est terrible tout ce qui est arrivé. Et moi je suis là, en train de vous raconter mes histoires… dit-elle, gênée.

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    Il baissa les yeux sans répondre.

    « Mais j’ai de si jolis souvenirs d’elle », reprit-elle après quelques secondes de silence. « Ce fut une période bénie, vous savez, que ce temps de notre enfance. Le monde entier nous paraissait être à portée de main. »

     Elle sourit, le regard ailleurs, et continua à prononcer quelques phrases que Pierre ne parvenait plus à suivre. Il y avait un tel poids qui venait, brutalement, de s’abattre sur ses épaules ! Le poids de bagages qui, au fond de lui il le savait  lui appartenaient et qu’il ne pouvait plus, dorénavant, faire semblant de ne pas voir et laisser sur le bord de sa route.

     Des bagages, se dit-il, que son père avait portés jusqu’au bout. Seul.

 

  *   Notes sur la mort de Mme Sand du Dr Chabenat / le Berry médical / 1876

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     La cloche de l’église sonna quatre coups. L’enterrement était terminé. Pierre

venait d’enterrer son père. Il avait voulu être seul. Et il avait été pratiquement seul. A part deux ou trois voisins.

     La veille, il l’avait dit à sa femme qui l’avait compris : cet enterrement-là était une chose intime. Trop intime pour être partagée. A cause de cette histoire. Cette vieille et vilaine histoire qui avait tourné autour de Marie. Et qui continuait, il le savait, à rôder encore dans les esprits des uns et des autres.

     Pierre y pensait quelquefois à cette grand-mère Marie qu’il n’avait pourtant jamais connue et dont il ne savait rien. Ou si peu. Sauf, peut-être, qu’il n’y avait pas de tombe à son nom dans le cimetière du village. Bien sûr, il aurait pu poser des questions. Mais dans sa famille, on ne posait pas de questions. Les choses étaient ce qu’elles étaient. Un point c’est tout.

    Il leva les épaules, impuissant. Il faudrait peut-être demander à cette vieille dame de tout à l’heure qui semblait savoir des choses ? Cette vieille dame, arrivée ici avec ses airs si doux et qui, comme la foudre et le vent d’un orage, avait, en quelques mots, bouleversé toutes les images de son passé en donnant à cette grand-mère presque maudite un visage de petite fille joyeuse.

    Que lui avait-elle dit exactement en le quittant ?... Pierre fit un effort pour se souvenir : « Je vous attends à Nohant, Pierre. Pour que l’on n’oublie pas trop vite, ni Marie, ni Clémentine… ni Alexandre, votre père. »

   « Marie », « Clémentine ». Personne, chez lui, ne parlait de cette grand-mère Marie et personne, non plus, ne prononçait le nom de Clémentine. Tant qu’elle avait été vivante, on avait dit « Elle ». Et on avait toujours su parfaitement de qui on parlait.

    Mais cette vieille dame… qu’il n’avait jamais vue… avait prononcé le nom interdit. Et après avoir baissé les yeux, presque comme sous une offense, Pierre l’avait regardée avec une telle intensité que, très vite, elle avait ajouté, dans un sourire qui se voulait plein d’espoirs : « J’ai beaucoup de jolies choses à vous raconter. Notre enfance a été un temps merveilleux. C’était le temps des rêves. »

 

    Pierre, restait là, sans bouger. Sans penser. Incapable de bouger et incapable de penser. Avec seulement l’image de cette vieille dame, qui s’était présentée comme l’amie d’enfance de Marie et qui avait disparu sous ses yeux, presque irréelle dans le soleil éclatant. Comme la messagère d’un Ailleurs où elle savait que, demain, bientôt, elle retrouverait ceux qu’elle avait tant aimés.

     Soudain il se souvint de ses toutes dernières paroles : « Connaissez-vous Nohant, Pierre ?... Il y a dans ses maisons posées dans ses chemins de bouchures et dans ses grands arbres aux troncs tourmentés qui ont vu tant de choses, encore comme un parfum d’hier… Et d’étranges secrets qui rôdent… Venez, Pierre, venez me voir à Nohant. J’y reste chaque année jusqu’à la fin de l’été. Je vous parlerai de l’enfance de Marie. De ses rêves. Tous ses rêves. Ensemble nous pouvons redonner vie à ceux qui ont disparu ».

 

    Un frisson glacé le parcourut malgré le soleil brûlant.

 

 

 

 

1/Le temps des rêves

  

 – Automne 1860 – Thevet

Chapitre 1 : A la santé de la Mère et de l’enfant 

 

 

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      A Thevet, petit village en plein cœur du Berry, c’était jour de marché. Depuis le milieu de la nuit, un vent violent s’était levé et s’engouffrait en rafales, transformant en torrent glacé la pluie qui s’abattait avec acharnement. Une pluie dure, qui dessinait le bourg en une esquisse sombre, comme tracée au bâton de charbon de saule ou de fusain qui s’était mis à plaire aux artistes pour travailler, entre les différentes teintes de gris, la lumière d’un paysage ou la courbe d’un visage.

     — Tu plies bagages ? cria l’homme, de derrière son étal de fruits et de légumes, pour se faire entendre par celle qui rangeait précautionneusement ses pièces d’étoffe fine.

      — Oui, je rentre me mettre au chaud. On va finir par attraper la mort à rester en plein vent. C’est une véritable tempête qui nous arrive-là !  Je crois bien que j’ai pas vu chose pareille depuis le commencement de mes jours !

      —  Cours ma belle ! Cours, reprit l’homme. La mort, elle t’attrapera bien quand elle le voudra..

      — On va faire en sorte que ce soit pas pour aujourd’hui, répliqua la femme, sans lever la tête, dans ce langage serré des campagnes qui tardait à disparaître.

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